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ANALYSE À L'ÉCHELLE DES VILLAGES |  13 OCTOBRE 2015

Comment la culture inuite façonne la forme des villages nordiques ? 

L'APPROCHE D'ANALYSE | À L'ÉCHELLE DES 14 VILLAGES

Le modèle de développement et d’aménagement urbain présent au Nunavik est basé sur le modèle des banlieues que l’on retrouve dans les milieux urbains au sud du Québec. Ces formes urbaines sont reliées à des lois, des normes, des mœurs et des habitudes de vie d’une population blanche nord-américaine qui demeurent bien différentes des réalités actuelles et des traditions inuit. Comment le développement des villes nordiques pourrait-il davantage tenir compte du contexte environnemental et culturel, dans un contexte restreint par ce genre de modèle ? Pour répondre à la question, nous avons procédé à une lecture sensible du tissu urbain des 14 villages du Nunavik à l’aide d’une méthode d’analyse qui met en valeur les usages et habitudes de vie inuit et, surtout, la façon dont ils se révèlent dans le paysage urbanisé. Cette méthode se base sur trois éléments présents dans le village inuit nordique : les zones construites, les pôles d’intensité et les déplacements. 

LA ZONE CONSTRUITE

La présence du radier est un élément du paysage villageois nordique que l’on ne peut négliger. Celui-ci se compose d’une couche de pierre concassée qui recouvre le sol naturel, la toundra ou la taïga, dans le but d’offrir une couche d’assise au bâtiment sur vérins et de contrevenir au mouvement du sol. Le radier recouvre environ 55 % de la superficie de la zone urbanisée d’un village comme Inukjuak. De cette superficie, seulement 19% constitue la superficie correspondant au bâti, sans inclure les rues. Ce mode de construction est utilisé depuis les premières habitations blanches construites pour les inuit et continue à être le mode d'implantation premier. Son omniprésence a modifié la perception du paysage urbain et naturel, ainsi que l’appropriation et le contact au territoire par la population locale. 

CARTE DE LA SUPERFICIE DES RADIERS DE KUUJJUAQ
LES PÔLES D'INTENSITÉS

La cartographie des pôles d’intensité s’est établie en fonction de l’utilisation particulière des différents établissements et infrastructures dans les villages, selon le moment de la journée et de la semaine. Les pôles les plus importants sont principalement des lieux utilitaires (épicerie, école, église, bureau de poste, etc.) qui font partie intégrante d’un parcours qui s’opère d’un point A au point B. La maison des jeunes et l’aréna sont deux lieux orientés sur les loisirs ayant une grande affluence auprès des jeunes. L'aréna, qui accueille une grande diversité d’activités, est un lieu flexible et important dans le village. 

En plus de ces pôles artificiels, on remarque des pôles d’intensité naturelle, tels que des lieux de chasse, de pêche ou de cueillette, peu visibles dans l’aménagement urbain du village. Pourtant, la notion d’évasion vers le territoire et la relation importante aux activités saisonnières constituent toujours des traditions fortement ancrées dans le quotidien des populations inuit. 

CARTE DES PÔLES D'INTENSITÉS DE KUUJJUAQ
LES CHEMINS INFORMELS

Les chemins informels, ou organiques, dans le village sont une façon parlante de constater les intensités des pôles à proximité et les habitudes de déplacements des gens. Il est facilement constatable que le modèle urbain en place ne cadre pas avec les modes de déplacement et la notion public-privé. Contrairement à la banlieue type du Sud, les limites de lot sont inexistantes ; l’espace entre les maisons sert à l’entreposage ou à la déambulation. La variété des modes de transports (véhicule tout-terrain, motoneige, etc.) permet une grande liberté de circulation. Elle constitue également un facteur très important dans la lecture des chemins informels. 

BANLIEUE DU SUD
VILLAGE NORDIQUE
CARTE DES CHEMINS INFORMELS DE KUUJJUAQ
L'APPROCHE D'INVESTIGATION

La superposition de ces trois éléments a été effectuée sur quatre îlots types retrouvés dans plusieurs villages. La topographie et l’hydrographie modifient la forme urbaine du village (linéaire, bloc et grappe). Le développement de cette forme urbaine influence la création d’îlots à travers les différentes phases de développement du village. Les types d’îlots présents dans les tissus urbains du Nunavik sont l’îlot en boucle, l’îlot rectangulaire, l’îlot périphérie et l’îlot en bande. Chaque îlot est à son tour composé de radiers, soit individuels, groupés ou en îlots. 

SITUATION GÉOGRAPHIQUE
FORME URBAINE
ÎLOTS
TYPE DE RADIER
L'ÎLOT EN BOUCLE : Kuujjuaq

Ce type d’îlot se retrouve plus particulièrement dans les villages en grappe. On les retrouve à l’extrémité des développements plus récents. Les bâtiments s’orientent face à la rue vers un centre et se trouvent le plus souvent sur un radier individuel. Les chemins informels s’y observent davantage vers le reste du village et peu au centre de l’îlot. 

BOUCLE
BOUCLE2
BOUCLE3
L'ÎLOT PÉRIPHÉRIQUE : Kangiqsualujjuaq

Ce type d’îlot se retrouve dans presque tous les villages. On les retrouve souvent dans les premières phases de développement et ils sont positionnés dans la partie centrale du village. Les bâtiments, face à la rue, se trouvent le plus souvent sur un radier individuel et laissent une zone centrale, sans radier, qui accueille bien souvent une multitude de chemins organiques ou encore de l’entreposage. 

périphérie
périphérie2
périphérie3
L'ÎLOT RECTANGULAIRE : Puvirnituq

Ce type d’îlot se retrouve dans tous les villages ainsi que dans toutes les phases de développement. Les bâtiments s’orientent face à la rue et se trouvent le plus souvent sur deux bandes de radiers regroupant les maisons d’un même côté de rue. Le grande dimension des îlots et leur position stratégique, à proximité d’un ou de plusieurs pôles, expliquent la grande quantité de chemins informels qu'on y retrouve. Le centre de l’îlot est la plupart du temps traversé par le ruissellement des eaux et occupé par de nombreux cabanons et zones d’entreposage. 

RECTANGLE
RECTANGLE2
RECTANGLE3
L'ÎLOT EN BANDE : Tasiujaq

Ce type d’îlot se retrouve dans une majorité de villages et se situe souvent dans les premières phases de nouveau développement ou à la limite d’une barrière naturelle. Les bâtiments s’orientent face à la rue et se trouvent sur un radier qui regroupe souvent deux ou trois maisons. Ce type d’îlot n'est pas traversé par des chemins informels puisqu’il se trouve loin des pôles, excepté s’il est à proximité d’une plage ou d’un cours d’eau. 

BANDE
BANDE2
BANDE3
LES RAYONS D'INFLUENCE

L’ampleur d’un village se perçoit bien par les rayons d’influence. Ceux-ci permettent de comprendre l’étendue et l’importance du territoire, ainsi que leur relation avec le centre villageois. Pour un village comme Kuujjuaq, la proportion du cœur dense du village par rapport aux routes formelles (menant à une zone traditionnelle de chasse, de pêche ou de cueillette) est de seulement 25%.

PROPOSITION

Nous souhaitons consolider le Vieux-Kuujjuaq ainsi que la première phase de développement, qui remonte aux années 70-80, dans le but de requalifier le village en accord avec les habitudes de vie de la population locale. Pour ce faire, nous avons réutilisé la méthode d’analyse du tissu urbain utilisée pour les 14 villages, dans le contexte spécifique de Kuujjuaq. 

LES OBJECTIFS

Objectif 1 : Revitaliser le tissu urbain correspondant à l’ancien secteur militaire.

On retrouve aujourd’hui une concentration importante de pôles (Northern Store, églises, station-service, bureau de poste, école, …) dans le tissu urbain correspondant à l’ancien secteur militaire. Cet îlot est particulièrement difficile à lire étant donné la présence d’une grande zone floue et de plusieurs habitations en son centre.

 

Objectif 2 : Augmenter la perméabilité du tissu urbain entre l’eau et le cœur militaire.

La vue sur l’eau a toujours constitué un repère visuel pour les inuit. Ce dernier se perd malheureusement à travers le développement urbain du village. La présence d’un chemin informel, devenu pratiquement formel par sa forte utilisation, met en évidence le potentiel de cette voie actuellement interrompue par la présence de bâtis.

 

Objectif 3 : Unifier les deux rives attenantes au cours d’eau qui traverse le village.

L’acte de traverser un cours d’eau est important dans la tradition inuit. Les rives de celui-ci constituent des lieux fortement utilisés par les piétons et les véhicules tout-terrain. Nous croyons qu’il faut les considérer comme des pôles d’intensité plutôt qu’une barrière naturelle, dans une optique d’unification du village. 

 

Objectif 4 : Relier les pôles d’intensité.

Suite à l’analyse du tissu urbain, nous avons constaté que les lieux d’intensités du village sont dispersés. Afin de faciliter la mobilité à travers Kuujjuaq, le lien entre ces pôles gagnerait à être renforcé.

 

Objectif 5 : Requalifier les bâtiments existants.

En réponse à la crise du logement qui sévit présentement au Nunavik, nous croyons que la requalification du bâti existant possède un potentiel inestimé dans la recherche d’une solution, soit par la rénovation des maisons ne répondant pas aux besoins des habitants ou par le démantèlement des bâtiments désuets à l’abandon.

LA CONSOLIDATION PAR L'INFORMEL

Objectif 6 : Consolider selon les usages.

Nous pensons également qu’il faut requalifier le bâti existant en tenant compte des déplacements informels qui témoignent des usages quotidiens des habitants de Kuujjuaq et de l’importance des pôles d’intensité. La grande quantité de ces chemins qui découpent les îlots montre que les tailles de ces derniers ne sont pas culturellement adaptées et que le mode de vie inuit fait fi des limites de lots. La hiérarchisation de ces chemins informels, en fonction des pôles et du type de transport, permettrait d’adapter l’aménagement en fonction de leurs habitudes de vie. Il faut comprendre la place que prend l’informel dans un tissu urbain inuit pour que les nouveaux développements soient adaptés à leurs déplacements. Dans cette optique, les non-lieux demeurent les rares espaces offrant encore une liberté et un contact au territoire en plein cœur du village. 

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